Éric Delayen construit, déconstruit. Il travaille à la mise en place d'espaces intermédiaires subtilement subversifs. Tous ses travaux, qu'ils soient d'ordre bidimensionnel ou tridimensionnel, consistent en des remises en question des notions d'espace, de point de vue, de structure. L'artiste étaye ses constructions" d'une tension entre dimensions interne et externe, fragile et solide, réelle et virtuelle. Il élabore longuement ses projets, les développe, les aiguise ... pour leur offrir une certaine autonomie. Matérialisés et livrés au domaine public, ils ne sont dès lors plus réductibles au portrait d'une personnalité mais, sous le couvert d'une certaine harmonie; ils incarnent des questionnements tangibles ouverts à tous les possibles.
L'utilisation du numérique et des "nouvelles technologies" fait partie intégrante de sa démarche. Le recours fréquent à cette technicité actuelle, forme de théorisation et de reproduction du réel, lui permet de se détacher de son univers personnel. Eric Delayen offre ainsi aux regards une série d'éléments - dessin, vidéo, objets, installations, interventions aux propriétés plastiques impersonnelles. Tous sont néanmoins conçus par l'artiste qui ne pratique pas le ready made. Il re-produit; il produit des fac-similé de réalités épurés de toute histoire, de toute signification, des territoires disponibles et vierges. Le formalisme soigné apporté aux réalisations ainsi que leurs dimensions techniques leur confèrent un caractère exact voire idéal proche de la démonstration scientifique. Cet univers construit se révèle cependant, àl'image de l'homme, imparfait. Les failles qui le caractérisent sont les points de contacts, les ouvertures discrètes ménagées par l'artiste afin de permettre au spectateur d'investir ces trompes l'oeil épurés et anonymes.
De même, Éric Delayen ne procède pas par théâtralisation grandiloquente mais module l'espace de présentation de ses travaux par de légers détournements de propriétés et caractéristiques. C'est pourquoi, le plus souvent, ses projets sont conçus en fonction d'un espace précis où l'artiste matérialise par ses discrètes altérations du réel une "interzone" énigmatique. Faute de moyens temporels et financiers, il ne concrétise pas toujours ses projets dans l'espace initialement prévu. "Par défaut", il présente alors des simulations de ses possibles intégrations in situ. Vraisemblables et d'apparences documentaires, ces travaux sont par essence des simulacres de réalité interrogeant le regard quant à leur véracité.
Le doute est donc omniprésent - tant quant à l'authenticité de l'espace échafaudé, que des questionnements véhiculés par ses oeuvres ouvertes révélatrices d'un équilibre ténu. Se refusant toutes formes de dogmatismes ou certitudes, Éric Delayen élabore ses propositions, pièges à convictions, en fonction d'un interlocuteur libre et autonome. Car si ses élaborations en leurs dimensions matérielles s'adressent à tous, elles se parachèvent dans un rapport individuel. En effet, le spectateur en relation avec ces propositions troublantes possède la liberté d'agir, de les investir, de construire son point de vue, de s'affirmer en tant qu'identité.
Bénédicte Merland
Flux News,06-02