L'ECHELLE DE L'AUTRE

Eric Delayen plasticien français installé à Liège depuis quelques années, voulait placer une échelle sur le trottoir de la rue Hors-Château, dans un recoin formé par le mur de l'église Saint-Antoine. Il y est arrivé, non sans avoir dû affronter Les problèmes terribLement concrets - que pose l'installation d'un objet sur la voie publique.

Comme le remarque Bénédicte Merland, "l'artiste construit (...) sa démarche sur un équilibre ténu entre réalité et visuel, entre solidité et fragilité, entre stabilité et instabilité". Et c'est peut-être surtout la fragilité et l'instabilité qui guident son travail. Il me semble que ses oeuvres antérieures, autant que celles montrées à l'Espace Les Brasseurs pendant la manifestation Bonjour.., témoignent d'un goût pour l'introduction d'un déséquilibre, léger mais toujours un peu inquiétant, dans toutes sortes de systèmes, trouvés ou créés pour l'occasion. Dans la rencontre avec ses oeuvres le spectateur s'identifie facilement à l'artiste, et tous deux ressemblent un peu à un acrobate accomplissant une pirouette : l'acrobate se reçoit sans mal, mais il a senti un inquiétant petit craquement, quelque chose un jour pourrait tourner mal... L'acrobate salue en affichant alors ce drôle de sourire que Les auteurs de BD ont magnifiquement schématisé par une petite ligne ondulée. Qui n'a jamais souri de ce sourire-là ?

La Sorcière, de 1998, était une boîte transparente en forme de prisme à base carrée incurvé dans sa longueur, comme une sorte de balançoire. Dans chaque petit côté du prisme était fixé un ventilateur. Dans le prisme étaient placés de minuscules petits morceaux de cellophane, que les deux courants d'air opposés faisaient tourbillonner. Question que faisait La Sorcière ? Ne répondez pas trop vite, car à la même époque l'artiste créait une installation vidéo intitulée Les actions du traître. Sous le titre Promis, demain je pousse, il avait installé en 1995 à la Galerie des grands bains douches à Marseille un banc de 16 m le long d'un mur, un banc dont la hauteur initiale de 35cm atteignait 70 cm à l'autre bout. En 1994, il avait imaginé un ballon empli d'hélium pris entre des cercles et des tiges métalliques, celles-ci simplement coincées contre ceux-là par la pression du ballon. Laissé à lui-même, l'objet se tenait en équilibre à peu de distance du sol, mais les mouvements trop vifs des spectateurs le bousculaient. L'artiste n'hésite pas à retourner contre lui ses manœuvres dans Autoportrait au soleil, crânement sous-titré Killing the Sun, il montre son visage crispé. Conditions de la prise de vue : " Fixer le soleil jusqu'à l'insoutenable brûlure qui clôt Les paupières sur des yeux humides et à cet instant précis presser le déclencheur".

L'échelle. Elle était donc plantée sur le trottoir de La rue Hors-Château. L'échelle est un symbole classique de croissance, délévation vers, par exemple, le monde spirituel, vers la lumière. Celle-ci était placée près d'un réverbère, fort capable d'éblouir complètement celui qui, tel Icare, se serait élevé si haut. Dans un monde plus laïque, elLe permet de prendre de la hauteur, de voir les choses d'en-haut. Pas de très haut, mais assez pour réfléchir sereinement. L'échelle invitait donc le passant à ce moment de réflexion. L'échelle était blanche, bien visible, elle pouvait aussi être tribune, pour haranguer les foules et être admiré d'elles. La sécurité sur la voie publique a ses exigences et il fallut entourer L'échelle d'une perfide clôture basse qui achevait ce que l'artiste avait si bien commencé parfois des noctambules trébuchaient dessus, et ils croyaient avoir reçu l'illumination.


Jean Michel Sarlet
Historien , commissaire d'expositions
In Catalogue Bonjour 2002